RÉTROSPECTIVE D’UNE ANNÉE DE RÉSISTANCE À L’EXPLOITATION MINIÈRE: ENTRE ESPOIRS ET ATERMOIEMENTS
16 juin 2014

Par Annie Pelletier, Ancienne coordonnatrice du PAQG au Guatemala et Présidente du Conseil d’administration du PAQG

Dure année que la dernière, pour le Guatemala! Si plusieurs d’entre nous connaissent bien la triste chanson de la violence et des violations des droits humains dans ce pays, même les plus avertis auront encore eu de quoi s’étonner en 2009, tant les rebondissements politiques et sociaux auront été à la fois vifs, télé romanesques1 et préoccupants, parce que symptomatiques d’un pays en crise.

Pourtant, en marge des épisodes d’ingouvernabilité, de la corruption, du contrôle exercé par le crime organisé, du climat de violence et de répression2, de la justice historiquement défaillante et de la pauvreté croissante, la société civile ne s’est peut-être jamais autant affirmée que ces derniers mois. En fait foi la mobilisation pour la défense des ressources naturelles, alors qu’elle a contraint le gouvernement à reconnaître enfin le déficit démocratique sur la question, à ouvrir des espaces d’expression publique et à tenter de répondre aux pressions grandissantes d’un front commun qui demande à être pris en considération et qui réclame, notamment, une réforme complète de la loi régissant les activités minières au pays3. C’est tout un processus d’organisation citoyenne, lent et fragmenté, mais combien important, qui est en train de se dérouler au sud.

Premiers signes d’une résistance sociale

A partir de 2001 déjà, des poches de protestations sociales avaient commencé à surgir4, preuve de la réappropriation d’une liberté d’expression longtemps refoulée par les armes. Mais ce n’est que plus tard qu’on a vu se créer et s’activer des mouvements organisés en opposition aux mégaprojets de barrages hydroélectriques, ou aux concessions octroyées à des entreprises d’extraction de pétrole et de minerais, la plupart étrangères. Là où la prospection allait bon train, l’inquiétude des populations locales augmentait, donnant à voir les prémisses d’une conflictualité sociale exacerbée par cette « nouvelle colonisation».

En 2004, à la veille de l’autorisation d’une licence d’exploitation pour la première mine d’or à ciel ouvert dans le département de San Marcos, des organisations environnementales5 sonnent l’alarme sur le grand laxisme de la loi minière: de trop minces redevances des entreprises à l’état (1%), une absence de contrôles externes, et le manque d’ engagement pour la réhabilitation complète des sites d’exploitation favorisent nettement l’industrie extractive au détriment des droits des Guatémaltèques et des peuples autochtones.
La compagnie canadienne Montana Exploradora de Guatemala6 se fait alors rassurante, offrant de plein gré des garanties pour démontrer que le projet Marlin en est un responsable face à l’environnement et aux communautés, mais la réponse demeure peu satisfaisante pour les habitants de Sipakapa et de San Miguel Ixtahuacán qui craignent de voir leur milieu de vie contaminé par les opérations minières et leur santé en être affectée. L’avenir leur donnera malheureusement raison.
En attendant, un vaste processus de consultations communautaires se déploie dans le nord-ouest du pays et provoque des réactions en chaîne, là où les gouvernements successifs de la « paix » ont découpé le territoire en centaine de concessions, sans prendre la peine d’interroger et d’informer préalablement les populations potentiellement affectées par ce type de développement. Depuis 2005, l’organisation de plus d’une trentaine de consultations communautaires par les autorités et les leaders locaux rendent visibles le rejet massif de plus de 500 000 personnes face à l’exploitation minière sur leur territoire. Surtout, elles permettent l’émergence d’une vaste coordination d’organisations et de mouvements autochtones, non autochtones et intersectoriels, peu commune dans le Guatemala d’après-guerre.

Amplification des luttes sociales et esquisses de réponses politiques

En février 2009, la lutte s’intensifie, alors que plusieurs organisations du mouvement social et environnemental joignent leurs efforts pour exiger la réforme de la loi minière, même s’ils ne s’entendent pas nécessairement sur les revendications. Certains proposent une hausse des redevances
des entreprises de l’ordre de 50%, alors que d’autres rejettent d’emblée l’emphase mise sur cette question qui cache, selon eux, le véritable débat : la légitimité même des mégaprojets d’exploitation minière en l’absence de consultation préalable et de consensus social.
En juillet, alors que plusieurs centaines d’habitants de San Juan Sacatepéquez7 bloquent depuis trois jours les grandes artères de la capitale, le gouvernement cède enfin en autorisant la création d’une Commission pour la transparence8, chargée d’analyser le conflit entourant l’octroi des licences d’exploitation à l’entreprise nationale Cementos Progreso et à la transnationale Goldcorp, et de produire des recommandations pour trouver des solutions à l’impasse.
C’est la première fois que le gouvernement nomme une telle instance pour entendre le point de vue de toutes les parties en conflit, et l’exercice suscite un vif d’intérêt. Le rapport de la Commission de Transparence sera publié le 14 novembre, non sans créer une certaine déception chez les militants de la première ligne : la Commission se refuse à recommander la suspension des licences d’exploitation en vigueur, son mandat légal ne lui donnant pas un tel pouvoir d’interférence. En revanche, elle s’ajoute aux voix qui clament que l’État du Guatemala viole la convention 169 de l’O.I.T., tout comme sa propre constitution, en n’ayant toujours pas créé de mécanismes juridiques, normatifs et administratifs pour mettre de l’avant des consultations avec les peuples autochtones avant d’autoriser tout projet de développement minier sur leur territoire, ou pour donner force de loi aux référendums déjà réalisés. Le rapport souligne abondamment la nécessité de se doter d’une loi minière assurant de meilleurs contrôles environnementaux et la perception de redevances plus justes (de 5 à 9%) pour l’État, mais surtout pour les municipalités affectées.

Des dommages prévisibles qui ne passent pas inaperçus

Le 24 décembre 2009 se produit à San Miguel Ixtahuacán ce que plusieurs craignent dans la région: le bris d’un conduit menant vers la digue de rétention des eaux usées de la mine Marlin provoque l’écoulement de 83m3 de déchets industriels vers le ruisseau Quivichil, un point d’eau vital pour les communautés des environs. Montana Exploradora fait le point sur les travaux de nettoyage et nie les possibilités de contamination, promettant qu’aucun autre accident ne se reproduira9.
Et voilà que quelque chose auquel personne n’avait été habitué se produit : le Ministre de l’environnement Luís Ferraté ne se contente pas des réponses données par l’entreprise, et dépose une plainte10 contre Montana, exigeant que des enquêtes indépendantes et des examens de la faune et de la flore soient menés pour déterminer si le liquide industriel qui s’est échappé aurait pu contenir des métaux lourds potentiellement toxiques. Gageons que la tenue de la commission y est pour quelque chose. Pour Yuri Melini10, cet incident démontre clairement que la sécurité industrielle de la mine n’est pas au point.

Des avancées significatives?

La bonne nouvelle, c’est que les choses pourraient être appelées à changer. Grâce à un récent jugement de la Cour Suprême du Canada11, les compagnies canadiennes opérant à l’étranger seront désormais tenues de présenter des études d’impacts environnementaux et sociaux plus complètes – mesurant tous les impacts possibles sur le projet minier dans son ensemble – et rédigées de manière à faciliter la compréhension et la consultation publique. Le jugement canadien donne aussi des armes solides aux organisations écologistes et au Ministère de l’environnement12 pour exiger toutes les ressources nécessaires à de meilleurs contrôles éthiques et environnementaux pour les entreprises extractives.
Une révolution? Peut-être pas : l’avancée juridique est salutaire, mais sa mise en pratique sera sans doute laborieuse, si on se fie aux intérêts économiques en jeu et à la mollesse d’une classe politique et diplomatique sans cesse courtisée par le lobbysme minier qui crie déjà à la manipulation.
En période de crise économique et de besoins pressants de liquidités, rien n’autorise à croire que le Guatemala aura vraiment les moyens de sa souveraineté sur son territoire et ses ressources naturelles. Mais l’année 2009 à San Marcos, aussi accablante qu’elle ait été, nous a aussi réservé quelques bonnes surprises : 2010 pourrait être une année décisive, si le mouvement social continue à prendre en ampleur et que la communauté internationale maintient sa vigilance et son engagement.
Référence :
1 L’enlèvement de Gladys Monterroso (l’épouse du Procureur des Droits Humains) la saga de l’accès public aux archives militaires du conflit armé, ou encore l’affaire Rosenberg, pour ne nommer que ceux-ci.
2 Depuis le 22 décembre 2010, un état d’urgence (signifiant la militarisation et la suspension de plusieurs garanties constitutionnelles) a été décrété dans la région de San Marcos, à la suite de plusieurs blocages de route. Les manifestants y dénonçaient les abus de la compagnie espagnole Union Fenosa qui détient le monopole de la distribution d’énergie électrique au pays. Deux leaders communautaires de la région ont été assassinés dans les trois derniers mois (Victor Galvez, de Malacatán, et Evelinda Ramírez Reyes, d’Ocós, militaient au sein du Front de Résistance pour la défense des ressources naturelles et des droits des peuples – FRENA).
3 La plus récente loi « minière » a été votée en 1997 sous le gouvernement d’Arzu
4 Par exemple, en lien avec la coupe illégale du bois, la contamination de sources d’eau ou l’accès à la terre.
5 Le Centre pour l’action légale, environnementale et sociale (CALAS), Colectivo Madre Selva et Tropico Verde.
6 Actuelle filiale du géant canadien Goldcorp Inc.
7 San Juan Sacatepéquez vit une situation extrêmement tendue depuis 2007, la région connaissant notamment une remilitarisation inquiétante dans un contexte où la résistance sociale ne cesse d’enfler. Cette dernière a culminé lorsque des résidents de 12 communautés San Juan Sacatepéquez ont manifesté en juillet 2009 dans la capitale pour que le gouvernement interdise l’installation de la cimenterie Cementos Progreso sur leurs terres, invoquant entre autre les dommages sur leur environnement.
8 La Commission, composée de deux députés du Congrès, de Yuri Melini, directeur de CALAS et d’Alfredo Marroquín, directeur de Acción Ciudadana, entendra tour à tour les responsables des Ministère de l’environnement et des ressources naturelles, de l’Énergie et des Mines, des membres des communautés affectées de San Juan Sacatépequez et de San Miguel Ixtahuacán, ainsi que les représentants de Cementos Progreso ,S.A. et de Montana Exploradora de Guatemala, S.A. Les membres de la Commission effectuent également des visites dans les deux régions respectives.
9 Alberto Ramírez E. “Denuncian derrame de desechos industriales en mina Marlin”, Prensa Libre, 22 janvier 2010, http://www.prensalibre.com/pl/2010/ enero/22/370238.html
10 Ibid
11 Environnementaliste, directeur de CALAS, défenseur des droits humains survivant d’une tentative de meurtre en septembre 2008 et membre de la Commission de Transparence.
12 Le 21 janvier dernier, la Cour Suprême canadienne concluait que l’Étude d’impact environnemental de la compagnie Red Chris (pour un projet d’extraction d’or et de cuivre, situé en Colombie-Britannique), a été fragmentée, de sorte qu’il était impossible d’identifier correctement les impacts pour l’ensemble du projet. Le jugement donne pour fautives les autorités qui ont évalué ledit projet et qui ont empêché la participation publique active dans cette évaluation environnementale.
Voir : http://csc.lexum.umontreal.ca/fr/2010/2010csc2/2010csc2.pdf

 

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