L’ACCOMPAGNEMENT INTERNATIONAL: LA SOLIDARITÉ AUTREMENT
1 février 2015

Ce billet du blogue Un seul monde a été écrit par Laurence Guénette, coordonnatrice du Projet Accompagnement Québec-Guatemala et auteure de la campagne de désinvestissement Le Fil de l’Argent.

Il y a plus de trente ans naissait l’accompagnement comme perspective nouvelle de solidarité internationale. Celle-ci apparut à l’époque en réponse à un désir de miser sur l’action non-violente, sur l’intervention civile plutôt qu’armée, et sur l’initiative populaire plutôt qu’étatique.

Les projets d’accompagnement se sont multipliés, de la Palestine à l’ex-Yougoslavie en passant par l’Amérique latine, avec une grande diversité de contextes, de structures et de visions. Mais les fondations demeurent les mêmes: une solidarité appliquée, contrastant de plusieurs façons avec la coopération internationale conventionnelle. Ce contraste a motivé l’organisation d’un événement qui saurait donner une visibilité à l’accompagnement sur la scène québécoise de la coopération internationale.

C’est donc à l’occasion des Journées québécoises de la solidarité internationale que s’est tenu en novembre dernier le Forum sur l’accompagnement : Solidarité, pratiques et défis. L’événement réunissait plusieurs organisations œuvrant à l’observation des droits humains, via l’envoi d’accompagnateurs-trices (accos) sur le terrain. Les différents projets de ces organisations se solidarisent avec plusieurs types de militant(e)s, tels que des syndicalistes, féministes, environnementalistes, défenseur(e)s du droit à l’autodétermination et survivant(e)s du génocide guatémaltèque impliqué(e)s dans la lutte pour la justice.

QUATRE INITIATIVES D’ACCOMPAGNEMENT: DES CONSTATS PARTAGÉS

Le forum profitait de la richesse des projets représentés, tant par les différences des conjonctures dans lesquelles ils évoluent, que par les observations communes sur l’Amérique latine contemporaine. Le Projet Accompagnement Québec-Guatemala (PAQGx) fut créé en 1992 pour accompagner les réfugié(e)s guatémaltèques qui entamaient leur retour depuis le Mexique, à la veille des Accords de paix signés en 1996. Son mandat se transforma après la fin des retours et se poursuit aujourd’hui, dans un Guatemala dorénavant « en paix », mais plus répressif et inégal que jamais.

Les Brigades d’observation des droits humains au Chiapas (BriCOs) ont pris forme en réponse à un appel lancé par le Centre pour les droits humains Fray Bartolomé de las Casas au Mexique. Cet appel faisait suite au soulèvement des Zapatistes en 1994, un mouvement social qui intégra très tôt l’accompagnement international comme stratégie de sécurité, mais aussi comme un manière de diffuser ses idéaux dans le monde. Le projet des BriCOs du Québec, entièrement bénévole, est appuyé par le Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL).

Le Projet Accompagnement Solidarité Colombie (PASC) fut créé en 2003, suite à la mobilisation transcontinentale en marge du Sommet des Amériques tenu à Québec en 2001, par des militant(e)s du Québec opposé(e)s aux grands projets néolibéraux et désirant agir en solidarité avec différentes communautés en Colombie.

Enfin, le Projet Accompagnement Honduras (PROAH) fut inauguré fin 2009, suite au coup d’État qui a donné naissance à plusieurs mouvements sociaux et à des délégations d’observation internationale. L’intensité de la répression eut tôt fait de révéler la nécessité d’une résistance de longue haleine, de même que d’un accompagnement international plus constant et de longue durée.

L’accompagnement cherche à dissuader les agressions potentielles et amoindrir la persécution qui cible bien souvent les défenseur(e)s de droits dans ces pays. Elle vise également à documenter les violations de droits humains ainsi qu’à mobiliser tant les autorités politiques que la population en général autour de ces enjeux. Cette forme de solidarité constitue aussi un appui moral d’une importance insoupçonnable pour les populations en résistance.

Si ces organisations évoluent dans quatre pays aux conjonctures distinctes, les intervenantes du forum constatent rapidement que les paradigmes politiques et économiques en vigueur correspondent à une accentuation des violations de droits humains et de la persécution de leurs défenseur(e)s. Notamment, l’industrie extractive applique partout un modèle violent, bafouant le droit des peuples à l’autodétermination et stigmatisant les personnes et organisations opposées à ses projets.

DE QUELLE SOLIDARITÉ PARLONS-NOUS?
Pour Nancy Thède, animatrice du Forum, « le constat qu’il y a une multiplication de ces initiatives d’accompagnement nous dit quelque chose par rapport à la solidarité, au besoin de se réapproprier le sens de la solidarité, dans un contexte où ce terme est galvaudé par les organisations non gouvernementales, par les gouvernements, et a perdu en quelque sorte son sens d’origine. »

Une solidarité profonde et intègre, en l’occurrence d’un acco envers les personnes et organisations accompagnées, exige quelques éléments trop souvent absents des pratiques et discours de la coopération internationale conventionnelle.

Cette vision exige en tout premier lieu que la personne se positionnant en solidarité reconnaisse le système de privilèges dont elle bénéficie. Dans le contexte d’accompagnement, cette inégalité de privilèges se manifeste évidemment dans l’aspect matériel : avoir les moyens d’interrompre toute activité rémunératrice pour plusieurs mois, payer un billet d’avion, revenir au Québec au moment souhaité, muni d’un passeport canadien!

Les raisons d’être de l’accompagnement lèvent le voile sur le système de privilèges raciste et colonialiste existant à l’échelle mondiale. Les accos, tout comme les personnes accompagnées, sont conscient(e)s que la présence d’une personne provenant du Canada aura probablement un effet dissuasif sur les potentielles agressions envers les Hondurien-ne-s (par exemple) parce qu’elle provient d’un pays occidental.

Ensuite, cette vision de la solidarité exige que les projets d’accompagnement soient initiés et poursuivis à la demande explicite des groupes accompagnés, et non dans un élan unilatéral de la personne privilégiée qui éprouve l’envie d’agir en tant qu’alliée. « L’accompagnement demande de se mettre dans une position d’humilité, au service des aspirations d’autodétermination des communautés », note Joëlle Gauvin-Racine, des BriCOs.

Enfin, l’accompagnement implique que les accos et les personnes accompagnées adhèrent à des objectifs communs en matière de respect des droits humains, dans un monde où ceux-ci sont le plus souvent méprisés devant la puissance de gouvernements et de corporations qui observent d’un œil gourmand nos territoires, nos ressources naturelles et notre force de travail. Comme le souligne Ève-Marie Lacasse du PASC, « nous partageons des idéaux, des luttes, une résistance commune face à de grands projets politiques et économiques qui cherchent à annihiler toute forme d’autodétermination des peuples ».

L’accompagnement aspire ainsi à agir sur les causes structurelles des injustices et de l’exploitation. C’est en appuyant des gens qui promeuvent la justice sociale et s’attaquent aux racines des inégalités et des oppressions que l’on peut véritablement se solidariser avec les peuples mobilisés en quête de dignité!

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